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COMMENCER PAR LE COMMENCEMENT

Cie ZZZ

  • Mathilde Olivares

Danse   

 

Résidence

  • 20/05/2023 → 25/05/2023
 
  
  

propos

Il faudrait toujours avoir quelque chose à dire et à montrer avant de commencer, quelque chose à produire avant de savoir ce qui va se produire.

J’en arrive donc à écrire pour communiquer sur ce que je vais faire en résidence au RING alors que je ne le sais pas encore, ne désire pas vraiment le savoir et encore moins le partager. Ce serait communiquer sur rien. Une coquille vide en somme.

Abreuvés de propos et d’idées à défendre, de sujets à traiter, de projets à mener, je crois que nous sommes beaucoup de danseurs, danseuses et chorégraphes privés de danse, d’espace et de temps ; de nos matières premières.

Car il nous faut le plus souvent, avant de pouvoir accéder à l’un de nos outils de travail, le théâtre, nous contraindre à un ensemble de procédures de sélection qui s’appuient en partie sur la conception et la rédaction d’un projet, de la manière la plus intelligible possible, synthétique, intéressante, singulière et prometteuse. Comme si l’objet à venir était déjà prêt à l’emploi.

Je n’évoque ici qu’une partie mineure du travail de production en abordant seulement la partie artistique et sa communication, sans m’arrêter sur le critère capital de la viabilité financière d’un projet et de l’entreprise artistique et culturelle qui le porte.

Chacune, chacun, sait pourtant que beaucoup de maillons de ce mode production font défaut, mettant à mal la possibilité même de cette viabilité.

Aboutir à un dossier artistique implique concrètement de passer de longues heures à écrire sur quelque chose dont nous ne savons presque rien, et dont il est peut-être préférable de ne pas trop en savoir. À supposer que nous souhaitions goûter à autre chose que la répétition du même à l’infini, dont seules quelques formes, couleurs et agencements varieraient d’un spectacle à l’autre. Ce temps passé à écrire des projets, nous ne le passons pas à travailler mais à justifier que notre travail présente un intérêt à être soutenu et accompagné car il aborde des questions brûlantes d’aujourd’hui ou remplira la jauge.

Bien sûr, ça peut être utile parfois, ou pas du tout. Servir ou desservir nos propres enjeux. Quoi qu’il en soit, ça n’est pas anodin et sans incidence sur le travail artistique.

C’est un exercice auquel je n’ai pas eu à me livrer pour être accueillie au RING. Cela me réjouit.

Et j’assume la contrepartie de mon choix en travaillant sans argent pour ces résidences, donc sans rémunération et (presque) seule. Je n’en ai fait la demande à aucune administration publique.

Mais il faut quand même communiquer.

J’aime écrire et j’aime danser. J’aime pratiquer la danse comme un langage qui travaille en lisière des consciences, avec ce qu’il faut de déraisonnable, de légèreté et d’humour, car on n’y joue pas l’avenir du monde, en lisière du connu et de ce que nous pouvons encore découvrir de nous-même et d’un plateau. C’est fragile, c’est une tension délicate. La danse nous informe autant qu’on l’informe. À ce travail, j’aime laisser de l’opacité, une part non résolue, une échappée et son lieu propre d’énonciation.

Je dois alors poser le préalable qui me permettra peut-être d’ouvrir un espace de création, pour me dessaisir et me saisir dans le même temps de ce que je sais et de ce que je vais découvrir, avant de déboucher sur un spectacle qui se dévoilera, avec son titre et sa forme, en chemin. En travaillant modestement « du dedans » de ma pratique et en la préservant autant que possible des entours économiques, politiques et symboliques qui la cernent trop souvent dès que se formule le désir de faire un spectacle.

Sans prétendre apporter quoi que ce soit de nouveau et de nécessaire, c’est de cette façon que je décide de m’y mettre.

Je ne veux pas m’appuyer sur un projet pour travailler, ni même travailler sur quoi que ce soit. Je veux liquider l’idée même du projet comme préalable et partir de rien, du vide et du silence. Sans prétexte. Ou seulement de ce qui préexiste, mon histoire avec la danse, mes désirs en la matière et beaucoup d’autres choses qui me dépassent.

Ça ne se synthétise pas, ça se communique mal, prend du temps et de la place. C’est incompressible.

Faire ce constat, pour moi-même avant tout, m’aide à comprendre à peu près d’où je pars, à me délecter de ne pas vraiment savoir où je vais et comment m’y prendre. Car je veux risquer de travailler depuis ce qui se manifeste, depuis ce qui se trame sourdement mais sûrement de danses en danses, depuis un désir confus, chaotique, incommunicable, qui a ses raisons. Sans l’ombre d’un sujet, d’une idée, d’un projet, qui finirait je le sens par recouvrir l’essentiel. C’est aussi vertigineux que stimulant.

Il me faut préserver ma tentative d’un trop de projection pour accéder à l’imaginaire, d’un trop d’écrit pour parvenir à l’écriture, la préserver d’un trop de formes pour sentir les forces à l’œuvre dans le travail. Et enfin d’un trop de promotion pour partager ce travail avec des spectateurs et des spectatrices quand le moment sera venu.

Je viens en résidence au RING sans autre projet que celui de danser parce que je suis danseuse et écris la danse. Je veux laisser affleurer ce qui se produit quand on entre dans cet espace visiblement vide du théâtre.  Dans le jargon on pourrait appeler ça un laboratoire, mais j’aime mieux me dire que je commence par le commencement.

Distribution

→ Mathilde Olivares – danseuse, chorégraphe 

→ Lorenzo de Angelis Complice de passage – pour Légende – danseur, chorégraphe 

© Edmond Carrère
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