Compagnie Alphageste
Musique Théâtre
Résidence
« Avant de mettre au monde son fils, laissant sa carrière de côté, E. était comédienne. Un soir, alors qu’elle remonte tout juste sur scène dans le rôle d’Électre, elle est prise d’un fou rire incontrôlable. Puis elle cesse de parler. Advient alors un silence vicieux, plein à craquer de mots débordés d’eux-mêmes — des mots qu’elle a pas su dire, des cris qu’elle n’a pas pu crier. Ce cri là de la naissance du fils. Celui d’Électre aussi. E. débordée cherche à comprendre, les raisons du silence, les raisons de parler. Dans le cadre d’un parcours analytique qui la confronte à elle-même, progressivement, elle raconte : l’instant du glissement originel, la difficulté à tenir debout, la perte du premier mot, l’oubli du visage de la mère, la parenté saisissante qu’il y a à accoucher d’un enfant et d’un personnage. Qu’advient-il de nous lorsque la peau s’ouvre si fort qu’elle laisse passer un nouvel être — qu’il soit d’encre ou de chair ? Où s’arrête le corps de la mère, où commence le corps de l’actrice ? Ou finit la langue maternelle, où débute la parole politique ? À quelles formes de transmissions systémiques le langage nous contraint-il ? Construite en douze séances et une post-séance, cette pièce sur la confusion identitaire est une réponse à Persona de Bergman. Un texte politique sur la dépression postpartum dans lequel le langage devient le miroir de la fissuration de l’être. Une pièce en forme de poème analytique où tressant les transferts, la situation d’analyse est poétisée, confondue à la situation théâtrale.» Sigrid Carré Lecoindre.
« Est-il possible de n’être qu’une seule et même personne à la fois ? Nous sommes pareilles. Je crois que je pourrais devenir toi. »
Alma prononcera ces mots au milieu du film. Il y a dans ces deux femmes une relation miroir en négatif. Ce que l’une a refusé, l’autre l’accepte mais au fond toutes deux aspirent intimement à se libérer des rôles qu’elles endossent et à arracher ces masques qui les asphyxient. Tous ces rôles, ces statuts de femmes qu’elles doivent jouer et souffrir en silence : l’actrice désirée et admirée, la mère aimante, l’épouse et l’infirmière serviable… mais qui sont-elles vraiment et qui ont-elles le droit d’être ou de devenir ?
Le duo Alma-Elisabeth forme un double avec des ressorts dramatiques et psychiques passionnants et une ligne de tension érotique et fantasmatique qui frôlent avec le surnaturel. Mais c’est un autre axe qui m’intéresse et que je souhaite mettre en avant dans le spectacle SO/MA, c’est la psyché diffractée d’Elisabeth avec au coeur la question fondamentale du silence et la crise de la vérité qu’elle traverse. Je souhaite aborder les thèmes de la perte de foi dans le langage, de la trahison et/ou de l‘impossibilité d’un langage juste mais aussi et surtout la reconquête de ce langage par le langage poétique. C’est ce qui a sauvé Bergman. Parce qu’au fond ce qui se cache aussi, en arrière plan, c’est la place de la parole et notamment celle de l’artiste face aux événements qui l’entourent. Que dire quand le monde brûle et les bombes tombent ?
Si dans mon précédent spectacle le défi était de faire se rencontrer deux langues, deux langages et deux mondes, le théâtre et la littérature (avec deux monstres sacrés du théâtre et de la littérature : Duras et Musil), ici je souhaite m’attaquer à un autre défi et puiser ma source dans ce matériau filmique et musical qui relève aussi bien du répertoire classique que du champ de l’expérimental. Il ne s’agira donc pas d’adapter le scénario de Persona, chef d’oeuvre cinématographique irreproductible mais d’inventer le hors champs, l’après, une réponse au film. Ici, dans le spectacle SO/MA, nous entrerons dans la psyché et dans la voix de cette femme, deux choses qui sont absentes dans le film comme elle y fait rempart tout du long. Elisabeth Vogler après s’être emmurée un long temps dans le silence retrouvera enfin la parole et redécouvrira sa voix. Elle nous parlera, reviendra sur les motifs qui l’ont poussé à se taire, sur sa décision d’effacer son « je » dans le bruit du monde et de mettre fin à son « jeu d’actrice » dans la vie comme sur scène ainsi que sa nécessité de s’éloigner du langage utilitaire et mensonger. Elle nous parlera de sa voix, de la peur de ne plus la retrouver comme celle de la redécouvrir et d’entendre à nouveau le son de sa propre voix. Elle nous parlera de la complexité de sa maternité, de sa fureur de vivre en dehors de tous ces masques, de ses rêves, de son silence, du silence… Elle nous fera enfin pénétrer dans son silence.
Mais le silence n’est pas absence de son, il appartient au langage et est lui aussi puissamment créateur. Il est renouveau. Pour nous ouvrir dans cette nouvelle forme de langage, je souhaite faire dialoguer sa parole avec un musicien qui l’accompagnera. Pour cela, j’ai confié l’écriture du monologue textuel à l’autrice Sigrid Carré Lecoindre et l’écriture musicale pour matérialiser l’expérience mutique à un compositeur Antoine Françoise.
Floriane Commeleran
CONCEPTION ET MISE EN SCÈNE : Floriane Comméléran
INTERPRÉTATION : Jessie Chapuis, Antoine Françoise avec la participation de Lena Paugam
TEXTE ET DRAMATURGIE : Sigrid Carré-Lecoindre
COMPOSITION MUSICALE : Antoine Françoise
SCÉNOGRAPHIE ET CRÉATION LUMIÈRE : Christophe Bergon
CRÉATION VIDÉO : Fabrice Aragno
ASSISTANTE MISE EN SCÈNE : Juliette Mouteau
PRODUCTION/ADMINISTRATION : Quentin Pageot
PRODUCTION : Alphageste (Fr), L’Oeil qui Ecoute (CH)
CO-PRODUCTION : Scène Nationale 61, ABC Centre de Culture
AVEC LE SOUTIEN : de la DRAC Normandie (dans le cadre du plan de relance) et de la Région Normandie (dans le cadre de l’aide à la maquette), du département de l’Orne et de Beaumarchais SACD (aide à la résidence et aide à la production).
PARTENAIRES : ABC Centre de Culture (Chaux-de-fonds – Suisse), Théâtre de l’Etincelle (Rouen), Cité Théâtre (Caen), Centre de Création des Fours à Chaux (Regnèville), Beaumarchais-SACD, Théâtre de la Reine Blanche (Paris), Ménagerie de Verre (Paris), Scène Nationale 61 (Alençon), Théâtre Le Ring (Toulouse) « Ce projet a bénéficié de l’aide à l’écriture en mise en scène de l’Association Beaumarchais-SACD ».